
Dans l’immensité du panthéon grec, il existe des divinités qui, bien que moins célèbres que Zeus, Athéna ou Poséidon, méritent toute notre attention. Léto, la déesse titanide, est l’une de ces figures méconnues, pourtant, son histoire et sa descendance n’en sont pas moins remarquable puisqu’elle engendre deux figures de proue de panthéon grec. Venez à la rencontre de Léto et découvrez les challenges qui ont marqué sa vie.
I. Qui était Léto?
Léto (Λητώ), parfois appelée Latone dans la mythologie romaine, était l’une des titanides, les divinités primordiales qui précédaient les dieux olympiens. Elle est la sœur d’Astéria, qui se changera en caille pour échapper à Zeus, devenant l’île flottante Ortygie. Le nom même de Léto, probablement dérivé du verbe grec lanthánô (« être cachée »), évoque la discrétion, le retrait et l’obscurité, des attributs renforcés par ses épithètes telles que « Léto en robe sombre » (κυανόπεπλος). Selon différentes traditions, elle serait née sur l’île de Kos ou même en Hyperborée. Elle était la fille des titans Céos, le Titan de l’intelligence céleste, et Phébé, déesse de la clarté prophétique.
Figure nocturne et maternelle, Léto incarne une sagesse silencieuse, presque effacée, mais dont la portée mythologique est immense. Cette divinité était associée à la modestie, la discrétion et la maternité. Sa parenté la liait aux dieux olympiens (est-ce pour cette raison qu’elle fut épargnée lors de la punition affligée aux titans après la victoire des dieux?), car elle était la mère d’Apollon et d’Artémis, deux des divinités les plus vénérées de la Grèce antique.
II. Amours de Léto
Léto est au cœur de l’un des récits les plus connus de la mythologie grecque. Tout commence lorsqu’elle devient l’amante de Zeus, avant même qu’il n’épouse Héra. Cette liaison déclenche la colère féroce de l’épouse légitime, qui jure de pourchasser sa rivale et de l’empêcher d’accoucher. Dans sa vindicte, Héra lance une double malédiction : elle interdit à toute terre ferme, toute île ou contrée rattachée au sol, d’offrir refuge à Léto, et elle retient prisonnière Ilithyie, déesse des accouchements, pour bloquer la naissance des enfants divins. Pire encore, elle envoie Python, le monstre gardien du sanctuaire de Delphes, pour traquer la Titanide enceinte à travers toute la Grèce. Ce serpent géant, informé par l’oracle de Gaïa qu’un enfant de Léto causerait sa perte, poursuit la déesse sans relâche, ajoutant la menace de mort à sa fuite désespérée.
Léto erre, rejetée par toutes les cités, craignant les représailles d’Héra. C’est finalement l’île flottante d’Ortygie — formée, selon une tradition, par sa sœur Astéria qui s’est changée en caille pour échapper elle-même à Zeus — qui lui offre un répit. L’île, n’étant rattachée ni à la mer ni à la terre, contourne habilement la malédiction d’Héra. Zeus, pour protéger Léto, ordonne à Poséidon de recouvrir temporairement l’île d’un voile d’écume pour échapper à Python. C’est là, adossée à un palmier et soutenue par un olivier sacré, que Léto entame un accouchement interminable de neuf jours et neuf nuits, sans assistance divine. Ce n’est que grâce à l’intervention d’Iris, qui offre un collier d’or à Ilithyie, que cette dernière accepte enfin de se rendre à Délos. Léto donne naissance à Artémis, qui selon certaines variantes, aide ensuite sa mère à accoucher de son jumeau Apollon.
Les épreuves de Léto ne s’arrêtent pas là. Peu après, elle se rend en Lycie pour laver ses enfants dans le fleuve Xanthe, mais les paysans du lieu, sous l’influence d’Héra, troublent volontairement les eaux pour l’en empêcher. En réponse, la Titanide les transforme en grenouilles — un acte de vengeance qui marque l’une de ses rares démonstrations directes de pouvoir. Cette scène sera largement reprise dans l’art occidental, notamment dans les jardins de Versailles où une statue la représente protégeant ses enfants.
L’amour inconditionnel que lui portent Apollon et Artémis est à la hauteur du calvaire qu’elle a traversé. Peu après leur naissance, Apollon tue Python avec ses flèches sacrées, accomplissant la prophétie et vengeant sa mère. Plus tard, Léto subit une autre agression, cette fois de la part du géant Tityos, qui tente de la violer. Les jumeaux n’hésitent pas : ils criblent l’agresseur de flèches et obtiennent de Zeus qu’il soit condamné à un supplice éternel dans le Tartare, où deux vautours lui dévorent sans fin le foie. Enfin, lorsque Niobé — une reine orgueilleuse — ose se moquer de Léto en vantant sa descendance plus nombreuse, Apollon et Artémis exterminent tous ses enfants, épargnant parfois une fille, Chloris, selon certaines variantes.
Aujourd’hui, sur le mont Sipyle, on peut observer un rocher qui ressemble à une femme agenouillée dans la poussière, et une source semble couler de ses yeux, perpétuant ainsi la légende de Niobé.
III. Son culte et ses représentations
Bien que son rôle dans les récits soit en retrait, Léto fait l’objet d’un culte ancien et profondément respecté. Son sanctuaire le plus célèbre est le Létôon de Xanthe en Lycie, site majeur devenu sanctuaire fédéral de toute la région au IIe siècle av. J.-C. Ce lieu sacré abritait trois temples, dont l’un dédié spécifiquement à Léto, et attirait pèlerins et processions dans l’Antiquité.
On retrouve également son culte à Délos, à Argos, à Athènes, à Tégyres, Zoster, ou encore Didymes et Chios. Dans l’art, Léto est généralement représentée au sein d’une triade sacrée, aux côtés de ses enfants. Elle est souvent peinte adossée à un palmier, tenant ses jumeaux, ou dans des scènes où elle est défendue par eux.
Des représentations la montrent également comme une figure courotrophe, portant Artémis et Apollon dans ses bras, symbole de la mère universelle et protectrice. Certaines versions la lient même à une divinité plus ancienne et l’associent au palmier-dattier et à l’olivier, symboles de fertilité.
IV. Ses amours et sa descendance
Comme nous venons de le voir, l’union entre Léto et Zeus, bien que discrète, est à l’origine de deux des plus puissantes divinités du panthéon grec : Apollon et Artémis. Léto, dans certains récits, est unie à Zeus avant Héra, ce qui accroît encore la jalousie de cette dernière. L’accouplement se fait dans la clandestinité, parfois sous forme de cailles, selon une version évoquant une transformation symbolique. Le lien entre la Titanide et ses enfants est renforcé par la mythologie post-natale : Artémis, dans certaines variantes, naît la première et aide sa mère à mettre au monde son frère, ce qui préfigure son rôle de déesse des accouchements. Apollon, quant à lui, hérite de la clarté solaire et de la fonction oraculaire, faisant de Léto la génitrice d’un pan cosmique équilibrant lumière et chasse, raison et instinct.
On note également dans plusieurs traditions que Léto est parfois assimilée à des déesses mères plus anciennes, fusionnant ainsi les attributs de fertilité, de maternité et de dignité silencieuse. Sa descendance ne s’arrête pas là symboliquement : Léto est l’une des premières titanides à incarner la transition entre le monde des Titans et celui des Olympiens, en donnant naissance à deux piliers du nouvel ordre divin.
La figure de Léto a traversé les siècles comme un symbole de maternité sacrée, de douceur et de persévérance silencieuse. Dans l’art moderne, elle inspire toujours : la statue de Marsy à Versailles la représente protégeant ses enfants des paysans lyciens, une métaphore politique sous Louis XIV. Dans la littérature, elle apparaît chez Homère, Hésiode, Ovide, et continue d’être citée comme modèle de piété maternelle.
Son nom est repris dans la saga Dune de Frank Herbert, où deux personnages clés s’appellent Léto Atréides. Sur le plan religieux et culturel, les sites comme le Létôon de Xanthe sont aujourd’hui classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, témoins d’un culte millénaire.