Lorsque l’univers égyptien a été conçu, un élément primordial a été nécessaire pour maintenir l’ordre, pour assurer que tout se passe selon un plan divin. Cet élément était Maât, la déesse de l’ordre, de l’équilibre et de la vérité, que nous vous invitons aujourd’hui à redécouvrir…

I. L’Origine de Maât
Maât tire son nom de la racine égyptienne « mꜣꜥt » (ne me demandez pas comment le prononcer), qui signifie « vérité », « justice » ou « ordre ». Elle était considérée comme une force primordiale qui a existé avant même la création du monde. Dans certaines cosmogonies égyptiennes, elle est même vue comme l’une des premières divinités à émerger de la primordiale Noun, l’océan chaotique primordial, symbolisant ainsi l’ordre qui émerge du chaos.
Cette divinité était également associée à la déesse Tefnut, qui représentait l’humidité ou l’eau primordiale, une autre force élémentaire de la création.
Le concept de Maât (non pas la divinité mais le concept de vérité qu’elle représentait) était largement intégré dans la société égyptienne, influençant la vie quotidienne, la morale, la politique et la religion. Les pharaons étaient souvent considérés comme les garants de la « Maât » sur terre et étaient chargés de maintenir l’ordre et la justice dans le royaume. Le vizir, second du roi, est d’ailleurs surnommé « Prêtre de Maât », soulignant combien elle s’infiltre dans tous les rouages de la cité. Les lois égyptiennes et les rituels funéraires étaient également conçus pour refléter et respecter les principes de Maât (cf le mythe du jugement d’Osiris/ de la pesée des âmes avec Anubis et la plume de la déesse de la vérité).
Maât est l’un des principes les plus anciens et fondamentaux de la cosmogonie égyptienne. Issue du dieu créateur Rê (ou Atoum), elle naît dès les premières secondes de l’univers, au moment où le Verbe divin donne forme au monde. Elle n’est pas simplement une déesse, mais l’incarnation vivante de l’ordre cosmique — ce qui est « droit » et « juste ». Elle organise l’univers, maintenant le ciel au-dessus de la terre, régulant les saisons, les cycles célestes et les lois naturelles. Mais son rôle dépasse la sphère cosmique : Maât est aussi la garante de l’ordre social, politique et moral. En elle réside la norme universelle à laquelle dieux et hommes doivent se soumettre pour éviter le retour du chaos (isfet). Chaque pharaon est tenu de « faire vivre Maât » — c’est-à-dire de gouverner avec justice, de garantir l’harmonie de la société et de repousser le désordre. Le souverain agit en son nom, tel un intermédiaire entre la Maât céleste et sa mise en œuvre sur terre. Cette notion de Maât devient ainsi un fondement éthique et politique, structurant toute la société égyptienne, jusque dans ses codes juridiques, administratifs et religieux. Le vizir, second du roi, est d’ailleurs surnommé « Prêtre de Maât », soulignant combien elle s’infiltre dans tous les rouages de la cité. En résumé, elle est à la fois principe d’équilibre cosmique, guide moral des individus, et charpente invisible de la civilisation égyptienne.
II. Les Symboles de Maât
La représentation de Maât dans l’art égyptien suit les codes de l’iconographie divine tout en restant fidèle à son caractère abstrait. Elle apparaît généralement sous la forme d’une femme debout ou assise, coiffée d’une unique plume d’autruche, symbole hiéroglyphique de son nom. Cette plume, d’une légèreté parfaite, évoque la vérité, la pureté d’âme et l’harmonie intérieure. Elle peut aussi apparaître seule, sans corps, dans les scènes funéraires, notamment sur les plateaux des balances lors de la pesée du cœur. À certaines époques, comme sous Akhenaton, Maât est représentée avec des ailes déployées, suggérant sa protection sur l’univers et son rôle d’équilibre. On la retrouve également sous forme d’offrande : de nombreuses scènes murales montrent le pharaon présentant une petite statuette de Maât à une autre divinité, comme pour signaler qu’il agit en conformité avec l’ordre cosmique. Bien que peu de temples lui soient exclusivement dédiés, elle est présente partout : sur les murs des temples d’Amon, dans les tombes royales, dans les fresques des salles de jugement. Elle n’emprunte jamais les formes d’autres divinités ni ne se laisse assimiler à elles : Maât est unique, toujours indépendante, et son image reste constante à travers les siècles — preuve de son rôle de fondement immuable du monde et de la pensée égyptienne. Elle est également souvent associée à d’autres symboles, tels que le Djed, le Ouash et l’ânkh. Pendant la période d’Akhenaton, et ultérieurement, elle a également été représentée avec des ailes.
Les Égyptiens vénéraient Maât dans divers temples à travers le pays, dont le sanctuaire de Karnak, le temple de Deir el-Médineh, ainsi que d’autres temples dédiés à différentes divinités. Elle avait même un temple dédié à Memphis.
L’un des principaux hiéroglyphes qui la représente met justement en avant une plume d’autruche en parfait équilibre, symbolisant l’harmonie et la justice universelle. Ce symbole est étroitement associé à la scène du jugement d’Osiris, où le cœur du défunt est pesé sur une balance à deux plateaux.
III. Les légendes qui l’entourent
Maât n’est pas une déesse de récits mouvementés comme Isis ou Seth, mais elle est omniprésente dans les mythes en tant que garante de l’ordre. Son rôle le plus marquant apparaît dans le Jugement d’Osiris, où elle prend une part active à la pesée du cœur des défunts.
Dans la Salle des Deux Vérités, Maât est figurée deux fois — une à chaque extrémité de la salle — incarnant à la fois la norme et le tribunal. Sa plume est déposée sur un plateau de la balance, en face du cœur (ab) du défunt : si ce dernier est plus léger ou égal, l’âme est jugée pure et accède aux champs d’Ialou. Si elle est alourdie par la faute ou le mensonge, elle est livrée à Ammout, la dévoreuse. Dans cette scène essentielle de la religion funéraire égyptienne, Maât ne juge pas à la manière d’un dieu personnel, mais agit comme un principe impartial : elle ne condamne ni n’épargne, elle révèle.
D’autres récits évoquent un âge d’or où Maât régnait seule sur la terre, avant que l’humanité ne sombre dans le désordre. Dans ces textes, elle finit par se retirer du monde terrestre, affligée par la cruauté des hommes, mais continue de vivre « en chacun », comme une conscience divine ou un esprit-guide. Certaines sources vont jusqu’à dire que « rejoindre Maât » était un euphémisme pour désigner la mort. Enfin, elle est aussi évoquée comme l’œil de Rê dans sa barque solaire, assistant le dieu dans sa lutte contre Apophis pendant le voyage nocturne : un symbole puissant de la vérité triomphant sans cesse du chaos.
Bien qu’omniprésente dans la pensée égyptienne, Maât ne disposait pas de temples grandioses comme ceux d’Isis ou d’Amon. Son culte se manifeste surtout par sa présence rituelle dans les sanctuaires d’autres divinités, où de petites statues ou images d’elle sont offertes. La reine Hatchepsout lui érigea un sanctuaire à l’intérieur du temple de Montou, à Karnak. Le véritable culte de Maât se pratique cependant dans la vie quotidienne : vivre selon ses principes équivaut à lui rendre hommage. Les juges étaient appelés « prêtres de Maât » et portaient sa figure comme gage de probité. Les scribes, les magistrats et même les artisans lui faisaient des offrandes en respectant son ordre et en évitant l’injustice. La fête de Maât, célébrée au mois de Thôt, donnait lieu à des processions et des oracles. Ainsi, bien qu’elle soit plus une essence divine qu’un être personnel, Maât est sans doute la force la plus vénérée de l’Égypte ancienne, car elle résume à elle seule l’idéal de civilisation égyptien.