Venez à la rencontre des déités du Jugement ! Dans l’Égypte antique, la mort n’était pas une simple fin, mais l’entrée dans un immense tribunal céleste où chaque acte de la vie terrestre était scruté. Au cœur de ce rituel solennel, des dieux aux fonctions minutieusement réparties — juges implacables, protecteurs bienveillants, scribes méticuleux, ou encore terribles bourreaux — orchestrent le destin posthume de chaque défunt. Le cœur est pesé, les fautes sont énumérées, et la justice divine, incarnée par Maât, tranche. Derrière ces scènes emblématiques du Livre des Morts, se cache tout un univers juridique et théologique d’une sophistication fascinante. Invitons-nous au cœur de ce tribunal des dieux…

I. Les principales déités du Jugement : leurs fonctions et leurs symboles
Au cœur de ce jugement de l’âme égyptien gravitent plusieurs divinités, incarnant chacune une facette du procès de l’au-delà. Osiris tient le rôle central de juge suprême. Roi défunt devenu maître de l’au-delà, il symbolise la promesse de renaissance et l’ordre cosmique. À ses côtés siège Maât, personnification de la vérité et de la justice universelle ; sa plume d’autruche, posée sur la balance, sert d’étalon pour juger la pureté morale du défunt.
Le dieu Anubis, maître des rites funéraires et de la momification, guide le mort vers le tribunal divin et préside à la pesée du cœur. Chargé de la consignation du verdict, Thot, le scribe divin à tête d’ibis, enregistre le résultat impartialement. Seth, quant à lui, incarne le chaos et la mort violente : il est l’accusé éternel du meurtre d’Osiris, mais dans certaines variantes il personnifie aussi les ennemis du défunt qu’il faut vaincre pour accéder à l’éternité.
Autour de ces figures majeures gravitent les 42 juges divins, chacun représentant une valeur morale spécifique. Ils écoutent la confession négative du défunt, qui affirme n’avoir commis aucun des péchés énumérés. Enfin, le monstre Ammout, la « Grande Dévoreuse », mi-crocodile, mi-lion, mi-hippopotame, attend en embuscade pour dévorer les âmes jugées indignes.
II. Déroulé du jugement
Le jugement de l’âme constitue un véritable procès, inspiré de l’organisation judiciaire terrestre des anciens Égyptiens. Après la mort, le défunt traverse une série d’épreuves rituelles visant à purifier son âme. Dans les conceptions les plus anciennes, le défunt assimile le parcours d’Horus combattant Seth, son oncle, devant un tribunal divin pour obtenir la succession d’Osiris. Cette lutte mythique devient le modèle symbolique de toute confrontation judiciaire dans l’au-delà.
Avec l’évolution des croyances, cette lutte se double d’un procès individuel. Le Livre des Morts, notamment ses formules 30B et 125, décrit en détail le rituel le plus connu : la pesée du cœur. Guidé par Anubis, le défunt pénètre dans la salle du jugement où siège Osiris. Sur la balance sacrée, son cœur — siège de sa conscience et de ses actes — est confronté à la plume de Maât. Thot consigne le résultat de cette pesée. Si le cœur est aussi léger que la plume, le défunt est déclaré juste de voix et accède aux Champs d’Ialou, le paradis égyptien. Si le cœur penche du mauvais côté, Ammout l’engloutit, condamnant le défunt à l’anéantissement définitif.
Les variantes des Textes des Pyramides et des Textes des Sarcophages introduisent parfois un face-à-face direct entre le défunt et ses ennemis terrestres ou divins, qui deviennent ses accusateurs. Le défunt doit alors justifier ses actes et invoquer des circonstances atténuantes, parfois en plaidant l’ignorance ou la jeunesse. Tout au long de cette procédure, des formules liturgiques récitées par des prêtres viennent renforcer sa défense.
III. Qui sont les autres divinités et quels sont leurs rôles
Le tribunal du jugement de l’âme égyptien est une véritable scène divine où interviennent de multiples acteurs célestes, chacun jouant un rôle précis dans la procédure qui doit conduire le défunt vers l’éternité.
Geb, le patriarche du tribunal ancien
Dans les conceptions plus anciennes — notamment celles des Textes des Sarcophages et des rituels du Khebes-to — le dieu Geb, père d’Osiris et divinité de la Terre, préside fréquemment le tribunal. Sa fonction est de superviser le procès comme garant de l’équilibre cosmique, avant que cette responsabilité ne passe progressivement à Osiris dans le Nouvel Empire. Geb est ainsi le premier magistrat céleste, devant qui les fautes sont exposées et les plaidoyers prononcés.
Les 42 juges de la salle des Deux Maât
Le défunt doit affronter une véritable juridiction collégiale composée de 42 juges divins, chacun représentant un principe éthique précis. Chacun juge contrôle un aspect particulier du comportement moral, allant du vol et du meurtre à des infractions plus sociales ou rituelles comme le blasphème, la calomnie ou le non-respect des rituels. Le défunt récite la confession négative, affirmant n’avoir commis aucun des 42 péchés recensés. Cette énumération minutieuse vise à démontrer l’intégrité morale du défunt.
Chaque juge est individualisé par un nom et un lieu d’origine symbolique, comme « Celui qui marche à grande enjambée d’Héliopolis » ou « Celui dont les deux yeux sont de flamme de Létopolis ». Cette procédure confère au jugement une dimension solennelle et stricte, chaque faute potentielle étant passée au crible.
Anubis, à tête de chacal, est le maître des rites funéraires et de la momification. C’est lui qui conduit le défunt jusqu’à la salle du jugement, l’assiste lors de la pesée du cœur, et règle les mécanismes de la balance. Avant même d’entrer dans la salle du tribunal, Anubis soumet le défunt à un premier examen : il vérifie ses connaissances des portes, des linteaux et du nom sacré de chaque seuil (dans les versions tardives du Livre des Morts). Ce savoir ésotérique est une preuve supplémentaire de la préparation du défunt.
Thot, le dieu à tête d’ibis, assiste à toute la scène comme scribe et arbitre de la pesée. C’est lui qui consigne fidèlement le résultat du jugement, sans qu’aucun biais ne vienne influencer son verdict. Sa fonction dépasse l’enregistrement : il incarne la mémoire parfaite des actions du défunt, et sert parfois d’avocat ou de modérateur lorsque les débats entre accusateurs et défenseurs deviennent houleux.
Horus, le fils d’Osiris, occupe une place centrale en qualité d’avocat et de défenseur du défunt. Dans la logique mythique, le défunt est assimilé à Osiris, et Horus continue de défendre la cause de son père. Il apporte même, parfois littéralement, les ennemis du défunt ligotés devant le tribunal.
Isis et Nephtys, sœurs et protectrices d’Osiris, soutiennent le défunt par leurs prières et leurs incantations magiques. Leur présence au procès est discrète mais constante : elles entourent souvent le trône d’Osiris et intercèdent en faveur du mort, assurant la bienveillance du jugement.
Enfin, en cas de jugement défavorable, c’est à Ammout, « la Grande Dévoreuse », qu’échoit la terrible mission de dévorer le cœur impur. Monstre hybride — associant crocodile, lionne et hippopotame — Ammout incarne l’effacement définitif de l’individu, l’absence d’accès à l’au-delà, bien plus redoutée que la simple mort physique chez les Égyptiens.
Le mythe du jugement de l’âme égyptien a marqué de manière profonde l’imaginaire collectif, bien au-delà des frontières de l’Égypte antique. Des parallèles sont fréquemment dressés avec le Jugement Dernier chrétien ou encore la pesée des âmes dans certaines traditions ésotériques. L’iconographie spectaculaire de la pesée du cœur continue de fasciner : les papyrus illustrés du Livre des Morts sont abondamment reproduits dans les musées, ouvrages grand public et reconstitutions artistiques. De nombreuses œuvres littéraires, films et jeux vidéo s’en inspirent (notamment Assassin’s Creed Origins, The Mummy, ou encore Stargate), où l’on voit Anubis ou Osiris juger les âmes des défunts.