
L’histoire de l’Égypte ancienne est parsemée de noms légendaires qui ont marqué leur époque. Parmi eux, Imhotep brille d’un éclat particulier, un génie dont l’influence a traversé les âges pour devenir un mythe vivant. Au-delà de ses compétences en tant qu’architecte, érudit et prêtre, Imhotep était un homme aux talents multiples, un véritable pilier de la civilisation égyptienne antique. Découvrez la vie de ce génie égyptien.
I. Qui était Imhotep ?
Imhotep, dont le nom signifie « Celui qui vient en paix », incarne l’archétype de l’homme providentiel dans l’Égypte de la IIIᵉ dynastie. Roturier de naissance, il parvient à s’élever jusqu’aux plus hautes fonctions de l’État sous le règne du roi Djéser, dont il fut le vizir. Ses multiples titres témoignent de son exceptionnelle polyvalence : chancelier du roi de Basse-Égypte, premier après le roi de Haute-Égypte, administrateur du Grand Palais, maître-artisan des sculpteurs et des maçons, grand prêtre d’Héliopolis, et gouverneur du grand château.
Aucun document contemporain ne le nomme explicitement architecte, mais les attestations archéologiques retrouvées à Saqqarah — notamment un socle de statue conservé au musée du Caire et un graffiti dans le complexe de Sekhemkhet — confirment son rôle prépondérant dans la conception et la supervision des grands chantiers royaux. C’est à lui que l’on attribue l’invention de la pyramide à degrés, un tournant décisif dans l’histoire de l’architecture mondiale. Imhotep incarne également l’archétype du sage : médecin, astronome, mathématicien et lettré, il est progressivement assimilé à Thot, dieu de l’écriture et de la connaissance, et reconnu comme fondateur de la médecine rationnelle égyptienne. Son statut de personnage historique se double, dès le Nouvel Empire, d’une montée en divinité qui fera de lui, à la Basse époque, le « fils de Ptah », le dieu créateur des artisans.
II. Sa représentation dans l’art égyptien
À partir de la XXVIᵉ dynastie, la figure d’Imhotep devient un motif iconographique omniprésent, particulièrement dans les objets votifs et les statues en bronze. Il est presque toujours représenté assis, vêtu d’un long tablier sacerdotal, la tête couverte d’une calotte identique à celle portée par les prêtres de Ptah.
Entre ses mains repose un rouleau de papyrus ouvert, qu’il lit ou médite, symbole de savoir, de sagesse et d’inspiration divine. Cette posture le distingue nettement des autres dieux anthropomorphes, souvent debout ou en action. De nombreuses figurines en bronze, découvertes notamment à Saqqarah et à Memphis, traduisent le développement de son culte personnel dans des contextes funéraires ou médicaux. Une inscription typique qu’on retrouve sur certains objets rituels souligne l’attachement des scribes à son égard : « Eau du pot à eau de tout scribe pour ton ka, ô Imhotep », marquant ainsi son rôle de protecteur spirituel des lettrés.
Dans certains temples, notamment à Karnak, Philae ou Memphis, il apparaît aux côtés de Ptah et Hathor, inscrit dans une triade divine qui renforce sa légitimité cultuelle. Contrairement aux divinités traditionnelles à tête d’animaux, Imhotep est toujours entièrement humain, ce qui renforce son image de sage divinisé issu du monde des hommes.
III. Les légendes qui l’entourent
Imhotep était un érudit polymathe, un maître dans de nombreux domaines du savoir. Ses vastes connaissances en médecine, astronomie, mathématiques et architecture étaient légendaires. En tant qu’architecte, il fut le concepteur de la première pyramide à degrés de l’Égypte, la pyramide de Djéser à Saqqarah, un chef-d’œuvre architectural qui marqua le début d’une nouvelle ère dans l’histoire égyptienne. Ses innovations dans la construction ont influencé la conception des pyramides ultérieures et ont été étudiées pendant des siècles par les architectes du monde entier.
Les récits légendaires entourant Imhotep naissent principalement à partir de la XVIIIᵉ dynastie, période à laquelle il est reconnu comme un modèle de sagesse et un maître des arts. Dès le règne d’Amenhotep III, des libations en son honneur témoignent de la progression de sa déification. Son nom apparaît dans le papyrus Westcar, dans lequel il incarne un prêtre-lecteur aux dons magiques — bien que cette partie du texte soit lacunaire, son identification est soutenue par le contexte.
À l’époque ramesside, il devient officiellement le fils de Ptah, et son prestige est tel qu’il est invoqué par Khâemouaset, fils de Ramsès II et restaurateur des monuments memphites, dans des formules d’offrandes collectives. À la Basse époque, il est réputé guérisseur miraculeux : selon une inscription du règne de Psentaïs, Imhotep « vient à tous ceux qui l’implorent, guérit la maladie, guérit les membres ». Son mythe personnel s’étoffe alors d’attributions médicinales, et il devient pour les Égyptiens ce que fut Asclépios pour les Grecs.
D’ailleurs, lors de la période ptolémaïque, les Grecs identifient Imhotep à ce dieu de la médecine, renforçant la dimension universelle de sa légende. Des traditions lui attribuent également la paternité d’un ouvrage mythique, Le Livre de l’ordonnancement du temple, où seraient consignés les secrets de l’architecture sacrée. Enfin, plusieurs auteurs antiques, dont Manéthon, affirment que c’est lui qui aurait introduit l’usage massif de la pierre dans les constructions monumentales, remplaçant la brique crue utilisée jusque-là pour les temples et tombes.
IV. Ses amours et sa descendance
Aucune source antique ne mentionne explicitement une épouse ou une descendance directe pour Imhotep. Sa filiation divine en tant que « fils de Ptah » est surtout symbolique et postérieure, renforçant son intégration dans la cosmogonie memphite plutôt que dans une généalogie familiale humaine.
Certains temples mentionnent Sekhmet comme sa mère, dans une tentative de le rapprocher de l’ancienne triade memphite. Ce type de filiation théologique vise moins à établir une lignée qu’à inscrire Imhotep dans une dynamique mythologique, où il joue le rôle d’intercesseur entre les hommes et les dieux, comme Thot avant lui.
Malgré tout ce que nous savons sur la vie d’Imhotep, sa mort demeure un mystère. Les textes anciens ne fournissent pas d’informations claires sur les circonstances de son décès, ce qui a laissé place à de nombreuses spéculations. Certaines théories suggèrent qu’il a pu être assassiné en raison de ses compétences exceptionnelles et de son influence considérable à la cour royale.
Le culte d’Imhotep se développe progressivement à partir du Nouvel Empire et connaît un apogée à la Basse époque. Il est vénéré à Memphis, Saqqarah, Karnak, Deir el-Bahari, Deir el-Médineh, Philae, et même jusqu’à Pozzuoli en Italie. Il ne dispose pas toujours d’un clergé propre mais figure dans de nombreuses chapelles et scènes de culte. Son temple à Saqqarah, bien qu’encore non retrouvé, était réputé pour accueillir les malades en quête de guérison.
Les libations à son honneur, notamment avec des pots d’eau semblables à ceux des scribes, étaient courantes. Il fut perçu comme l’inspirateur des principes de l’architecture sacrée et le protecteur des artisans, des scribes, et des médecins. Les Grecs l’assimilèrent à Asclépios, et son culte fusionna avec celui d’Isis, Ptah et Hathor dans certains temples ptolémaïques, symbolisant l’universalité de son influence.