Rate this page
Représentation de la divinité chinoise Pangu - AI generated

Il y a très, très longtemps, avant même que le ciel et la terre n’existent, tout l’univers n’était qu’un énorme œuf rempli de chaos. Et au milieu de cet œuf, dormait un être incroyable : Pangu, le tout premier géant de la mythologie chinoise. Après 18 000 ans de sommeil, il se réveilla… et en brisant l’œuf à l’aide d’une hache magique, il sépara le ciel et la terre pour créer le monde tel que nous le connaissons. Mais ce n’est pas tout : une fois sa mission terminée, le corps de Pangu se transforma. Ses yeux devinrent le soleil et la lune, son souffle devint le vent, son sang les rivières, et ses cheveux les étoiles. Un véritable héros créateur, dont chaque partie a donné naissance à la nature. Alors, prêt à découvrir l’incroyable aventure du géant qui a créé le monde ?

I. Les origines de Pangu

Imaginez un temps où il n’existait rien. Pas de ciel, pas de terre, pas même une brise pour caresser le vide. Ce n’était pas le silence qui régnait, mais une densité impénétrable, un chaos primordial. C’est dans cette obscurité épaisse que naquit l’un des mythes fondateurs les plus fascinants de la Chine ancienne : celui de Pangu, le géant créateur du monde.

Contrairement aux divinités grecques ou hindoues dont les récits abondent dans des textes anciens très codifiés comme la Théogonie d’Hésiode ou les Védas, le mythe de Pangu reste plus diffus dans la tradition écrite chinoise. Sa première apparition documentée remonte aux Chroniques des Trois Royaumes (三國志, Sānguó Zhì), un texte du IIIe siècle écrit par Xu Zheng (許慎). Ce dernier compile dans ses Chroniques de la Haute Antiquité (Sanwu Liji) les récits fondateurs du monde chinois, mêlant observations historiques, croyances populaires et interprétations taoïstes.

Xu Zheng décrit un monde originel contenu dans un œuf cosmique, un symbole puissant de gestation universelle. Ce motif de l’œuf du monde n’est pas propre à la Chine : on le retrouve aussi dans la mythologie finnoise (l’œuf du canard cosmique dans le Kalevala), ou encore dans l’orphisme grec. Mais dans la version chinoise, c’est Pangu qui émerge, un être gigantesque, poilu et cornu, qui dormait dans l’œuf depuis… 18 000 ans. Un chiffre qui ne doit rien au hasard : il évoque un cycle cosmogonique complet dans la pensée taoïste, où la transformation cosmique suit des rythmes millénaires.

Selon le mythe, lorsque Pangu se réveille, il se rend compte du désordre absolu qui l’entoure. Armé d’une hache céleste, il tranche l’œuf en deux. La partie claire et légère s’élève pour former le ciel (Yang), tandis que la matière plus lourde descend pour constituer la terre (Yin). Ce geste de séparation est au cœur de la pensée chinoise : il fonde la dualité harmonieuse du Yin et du Yang, essentielle dans le taoïsme et dans toute la cosmologie traditionnelle.

Ce qui est frappant dans cette légende, c’est l’absence d’intervention divine extérieure. Contrairement aux récits bibliques ou védiques, il n’y a pas de créateur omniscient ou de conseil divin. Pangu naît de la nécessité cosmique, de la tension interne du chaos. Il n’est ni tout-puissant, ni éternel : il est un vecteur de transformation, un pont vivant entre le désordre originel et l’ordre du monde.

Mais pourquoi ce mythe n’apparaît-il que tardivement dans les écrits chinois alors que les autres civilisations avaient déjà des cosmogonies bien établies ? La réponse tient peut-être au rapport que la Chine entretient avec la tradition orale et l’harmonie naturelle. Pendant des siècles, les Chinois ont préféré se concentrer sur l’histoire des dynasties humaines, les relations de pouvoir et les lois naturelles.

II. Symbolisme du chaos primordial et de l’œuf cosmique

L’œuf cosmique dans lequel Pangu sommeille n’est pas seulement un réservoir de matière brute. Il est aussi un symbole d’unité, de potentialité infinie, un archétype que l’on retrouve dans de nombreuses civilisations. Dans le mythe chinois, l’œuf contient à la fois le Yin et le Yang, les contraires qui s’annulent et se complètent. C’est le fameux Wu Ji, le « sans-polarité », d’où émergera le Tai Ji, le Yin et le Yang en mouvement, représentés dans le célèbre diagramme en spirale noir et blanc.

Cette dynamique illustre parfaitement l’idée taoïste que le monde n’est pas né d’un acte de volonté divine, mais d’un équilibre rompu et restauré par une force interne. Pangu n’est pas un démiurge autoritaire, mais un catalyseur de l’harmonie cosmique. Son geste n’est pas une guerre, c’est une naissance.

II. La séparation du ciel (Yang) et de la terre (Yin)

Pour maintenir cette séparation, Pangu se dressa entre le ciel et la terre. Et chaque jour, pendant dix-huit mille années supplémentaires, il grandit de trois mètres par jour, dit la légende, comme s’il étirait l’univers lui-même. Tandis que le ciel s’élevait au même rythme, la terre s’épaississait en miroir et son propre corps devenait ainsi l’axe cosmique entre les deux pôles.

Pangu ne crée pas en un jour, ni en un geste : il façonne, il soutient, il incarne la lente maturation de l’univers. Sa croissance est celle de l’harmonie, de l’ordre qui se stabilise.

Certaines versions du mythe, plus tardives, racontent que durant ces millénaires de croissance, Pangu n’était pas seul. Quatre créatures mythiques l’accompagnaient dans sa tâche (et selon certains écrits, dans son oeuf):

  • Le Dragon, gardien des vents et des éclairs,
  • Le Phénix, porteur de lumière et de renouveau,
  • La Tortue, symbole de stabilité et de soutien du monde,
  • Le Qilin, messager de paix et de prospérité.

Ces compagnons ne sont pas des aides serviles, mais des incarnations des forces de la nature qui se régulent progressivement. Ils assurent la cohérence du monde qui se met en place, sous la vigilance de Pangu.

Mais cet effort colossal n’était pas sans conséquence. Pangu s’épuisa lentement. Chaque respiration, chaque mouvement, chaque poussée de croissance demandait une énergie considérable. Certains récits suggèrent même que son corps commençait à se fissurer sous la tension, et que ses os vibraient comme des piliers soutenant un ciel trop lourd.

Et pourtant, il ne fléchit pas. Pendant dix-huit mille ans, il resta debout, gardien infatigable de l’univers.

III. Son culte

Le culte de Pangu, longtemps diffus et marginal, s’est surtout développé dans le sud de la Chine, notamment chez les peuples Miao, Yao, Li et Zhuang. Son assimilation par le taoïsme, en tant qu’archétype du Créateur, le fait apparaître comme le premier des Trois Purs, même s’il n’a pas de temple dédié dans la tradition liturgique classique. On le représente alors vêtu comme un maître taoïste, tenant la perle du chaos originel. En revanche, dans les traditions locales, il est souvent représenté sous les traits d’un homme primitif, vêtu de peaux de bêtes, aux traits robustes et barbus.

Depuis les années 1970, la reconnaissance officielle des traditions populaires a favorisé la restauration de son culte. Des temples lui sont dédiés, comme le sanctuaire de Guilin (Guangxi), ou encore un mausolée marin dans la mer de Chine méridionale, dit abriter son esprit. Depuis 2003, Laibin (Guangxi) a engagé un effort patrimonial massif pour promouvoir la « culture de Pangu » comme levier culturel et touristique. Des festivals, publications, recherches ethnographiques et projets de classement au patrimoine immatériel ont suivi, témoignant d’un renouveau structuré autour de son héritage mythique.

IV. La transformation de son corps en éléments naturels

Et puis, un jour, Pangu meurt. Non pas d’un coup, ni dans une querelle divine – il meurt par épuisement, après avoir accompli sa tâche. Et c’est dans sa mort que l’univers prend forme.

Car dans la tradition chinoise, la vie et la mort ne s’opposent pas : elles se prolongent, se transforment. La mort de Pangu n’est pas une fin tragique, mais le dernier acte de création. Son corps devient la matière du monde. Chaque partie de lui se métamorphose pour donner naissance aux éléments naturels :

  • Son souffle devient le vent et les nuages.
  • Sa voix, le tonnerre qui gronde encore dans les montagnes.
  • Ses yeux, le soleil (œil gauche) et la lune (œil droit), apportant lumière et régularité au temps.
  • Ses cheveux et sa barbe deviennent les étoiles, parsemant le ciel nocturne.
  • Son sang se change en rivières, en fleuves nourriciers comme le Yangtsé ou le Fleuve Jaune.
  • Ses muscles forment la terre fertile, base des civilisations agricoles.
  • Ses os, les montagnes qui protègent et délimitent les royaumes.
  • Ses dents et ses griffes, les pierres précieuses enfouies dans le sol.
  • Sa peau, la végétation, les forêts primordiales.
  • Sa transpiration, la pluie qui féconde les champs.

Mais ce n’est pas tout. Dans certaines versions du mythe, les parasites vivant sur son corps, nourris par sa chaleur, sont dispersés par le vent. Ils tombent sur la terre et… deviennent les êtres humains.

Ce passage peut paraître choquant à première vue. Mais il révèle un principe fondamental de la pensée chinoise : l’homme est un produit naturel, au même titre que la pierre, l’arbre ou le vent. Il n’est pas à part du cosmos, il en est un prolongement vivant. Cette vision profondément écologique (au sens philosophique) distingue nettement la cosmogonie chinoise des mythes dualistes occidentaux.

Pangu est devenu, au fil du XXe et XXIe siècle, un symbole fondateur de la culture chinoise, réapproprié dans l’enseignement, la bande dessinée, le cinéma d’animation et les jeux vidéo. Il est aujourd’hui enseigné dans les écoles comme le grand mythe de la création à la chinoise, à la manière d’Ouranos, de Purusha ou de Gaïa dans d’autres traditions. On le retrouve dans des mangas chinois (manhua), des adaptations animées, et même dans certains jeux vidéo mythologiques comme Smite, Age of Mythology ou Black Myth: Wukong, sous forme de titan créateur ou de boss cosmique.

Au-delà du divertissement, Pangu est mobilisé comme figure de l’effort originel, celui qui sépare, élève, structure et se sacrifie. Dans les discours identitaires, il est parfois utilisé pour illustrer la grandeur ancestrale du peuple chinois, capable de créer l’ordre à partir du chaos.