
Figure ensorcelante du panthéon gallois, Gwydion ne se contente pas d’être un simple magicien. Stratège manipulateur, poète mystique et maître des métamorphoses, il incarne la puissance créatrice autant que destructrice de la magie celtique. Fils de la grande déesse Dôn et frère des dieux, il traverse les récits du Mabinogi comme une tornade d’illusions, d’intrigues et de prodiges. Derrière ses enchantements se cache un personnage complexe, tiraillé entre ruse, loyauté familiale et transgression divine. Découvrez l’histoire fascinante de ce sorcier ancestral, dont les sortilèges résonnent encore dans les récits modernes de fantasy.
I. Origines et famille de Gwydion
Gwydion est l’un des personnages centraux de la mythologie celtique galloise, principalement dans la Quatrième branche du Mabinogi. Il est le fils de la grande déesse Dôn, équivalente à Dana dans la mythologie irlandaise, et du dieu Beli Mawr. Dôn représente souvent la mère nourricière, une figure centrale dans le panthéon celtique. Le nom de Gwydion est lié à plusieurs de ses frères et sœurs, parmi lesquels :
- Arianrhod, sa sœur, qui joue un rôle clé dans la malédiction imposée à son fils Lleu Llaw Gyffes.
- Gilfaethwy, son frère, souvent son complice dans des intrigues aux conséquences dramatiques.
- Gofannon, un autre frère, associé aux forges et au métal, et réputé pour ses compétences artisanales.
Il est également le neveu de Math ap Mathonwy, souverain du royaume de Gwynedd. Gwydion incarne la figure archétypale du dieu-magicien gallois : rusé, puissant, manipulateur, mais aussi capable de repentir et de création. Dans le panthéon brittonique, il est souvent assimilé au Dagda irlandais, par son pouvoir sur la magie, la guerre et la parole poétique.
II. Les ruses de Gwydion : le vol des porcs de Pryderi
Gwydion est souvent présenté comme un « trickster », une figure de farceur et manipulateur. L’un de ses exploits les plus célèbres est le vol des porcs magiques du roi Pryderi. Ces porcs, symboles de prospérité et d’abondance, sont des créatures offertes à Pryderi par les dieux. Gwydion conçoit alors un plan machiavélique pour les dérober.
La plus célèbre légende de Gwydion débute par une manipulation tragique. Pour aider son frère Gilfaethwy à séduire la jeune Goewin, une vierge au service rituel du roi Math, Gwydion provoque un conflit artificiel avec le roi Pryderi de Dyfed. Il utilise un subterfuge magique, échangeant des animaux illusoires contre des porcs féeriques, ce qui déclenche une guerre entre les deux royaumes (ces porcs, symboles de prospérité et d’abondance, sont des créatures offertes à Pryderi par les dieux). Il utilise un stratagème brillant : se présenter à Pryderi sous les traits d’un barde itinérant. En échange des porcs, Gwydion propose des trésors créés par sa magie, mais qui se révèlent être de simples illusions. Pryderi, déçu par cette tromperie, déclare la guerre au royaume de Math, l’oncle de Gwydion. Pendant que Math est au combat, Gilfaethwy viole Goewin. Gwydion, quant à lui, tue Pryderi en duel.
À son retour, Math découvre la tromperie et punit ses deux neveux en les métamorphosant successivement en cerf et biche, sanglier et laie, puis loup et louve. À chaque cycle, les deux frères engendrent un fils : Hyddwn, Hychtwn et Bleiddwn, noms symboliques de leur nature animale. Ces enfants sont ensuite transformés en humains.
III. La malédiction d’Arianrhod et la naissance de Lleu Llaw Gyffes
Le rôle de Gwydion ne se limite pas aux intrigues guerrières. Il intervient également dans des conflits familiaux, comme en témoigne sa relation avec sa sœur Arianrhod. Après avoir été publiquement humiliée par Math, qui découvre qu’elle a perdu sa virginité, Arianrhod donne naissance à deux fils : Dylan et Lleu. Tandis que Dylan rejoint les flots en tant qu’enfant des mers, Lleu reste sous la tutelle de Gwydion.
Arianrhod, furieuse, impose à Lleu trois malédictions :
- Il ne recevra jamais de nom.
- Il ne portera jamais d’armes.
- Il n’aura jamais de femme humaine.
Déterminé à contrer sa sœur, Gwydion fait preuve d’ingéniosité. Pour offrir un nom à son neveu, il piège Arianrhod avec un stratagème, forçant ainsi sa sœur à appeler l’enfant « Lleu Llaw Gyffes » (« la main habile »). Il répète cet exploit pour les deux autres malédictions, notamment en créant Blodeuwedd, une épouse pour Lleu, à partir de fleurs.
IV. La création de Blodeuwedd : une femme façonnée par la magie
La création de Blodeuwedd est sans doute l’une des histoires les plus poignantes associées à Gwydion. Avec l’aide de Math, il façonne une femme à partir de fleurs : le chêne, l’aubépine et le genévrier. Blodeuwedd est offerte à Lleu comme épouse, mais cette union s’avère tragique.
Blodeuwedd tombe amoureuse de Gronw Pebr, un autre seigneur, et complote avec lui pour tuer Lleu. Malgré la blessure infligée, Lleu survit grâce à sa forme animale. Gwydion retrouve son neveu et le soigne, avant de punir Blodeuwedd en la transformant en chouette, symbole de l’obscurité et de la solitude.
V. Ses amours et sa descendance
Les récits ne prêtent pas à Gwydion d’unions amoureuses au sens traditionnel. Toutefois, son rôle dans la naissance de trois enfants issus de ses transformations animales avec son frère Gilfaethwy est particulièrement frappant dans le mythe. Ces trois enfants, Hyddwn (le faon), Hychtwn (le marcassin) et Bleiddwn (le louveteau), incarnent la dualité entre sauvagerie et rédemption. Une fois leur nature humaine restaurée par Math, ils deviennent les descendants symboliques de Gwydion. Il est également le protecteur — et dans certains récits, le père ou l’oncle spirituel — de Lleu Llaw Gyffes, qu’il élève en dépit des malédictions d’Arianrhod.
Gwydion a laissé une empreinte profonde dans la littérature et les arts inspirés par la mythologie celtique. Son archétype de mage manipulateur et stratège visionnaire a inspiré de nombreuses figures de fiction, du druide dans la fantasy moderne aux sorciers des romans anglo-saxons. On le retrouve indirectement dans des œuvres comme Le Cycle d’Arthur, Les Enfants de Llyr, ou encore dans l’univers de The Mabinogion Tetralogy d’Evangeline Walton.