Agravain, l’un des chevaliers de la légende arthurienne, suscite autant d’interrogations que d’intrigues. Dans le monde des chevaliers de la Table Ronde, il est celui qui ose dénoncer la liaison interdite de Lancelot et Guenièvre, scellant ainsi le destin de Camelot. Mais Agravain est bien plus qu’un simple traître. Personnage complexe aux motivations ambiguës, il incarne une figure de chevalerie où loyauté et ambition se confondent. Découvrez ce personnage controversé qui a poussé le devoir et la vertu au vice.
I. Les Origines et la Famille d’Agravain
A. Ascendance et Lien avec le Roi Arthur
Agravain, également connu sous les noms d’Engrevain ou Agravain l’Orgueilleux, est un personnage central mais ambigu de la légende arthurienne. Son surnom, « Agravain à la Dure-Main », mentionné dans Sir Gauvain et le Chevalier Vert, suggère une nature combative et inflexible.
Dans les légendes médiévales, il est présenté comme le fils de Lot d’Orcanie et de Morgause, demi-sœur du roi Arthur. Ce lien confère à Agravain un statut élevé, puisqu’il appartient à la lignée royale d’Arthur lui-même. Mais cet héritage est aussi source de tensions : Agravain est constamment tiraillé entre ses obligations familiales et son devoir de chevalier de la Table Ronde. Cette relation avec Arthur pose une question fondamentale : jusqu’où un chevalier doit-il être loyal, même face aux fautes de son propre roi ?
Son éducation dans la cour d’Orcanie lui inculque un code strict d’honneur et de loyauté, mais la rigueur qu’il en retire se transforme souvent en une obsession de justice, qui le pousse à être intraitable, parfois même impitoyable. Contrairement à ses frères, qui semblent plus enclins à tempérer leur jugement, Agravain suit une ligne de conduite qui l’amène souvent à adopter une position inflexible, ne tolérant aucune entorse à l’honneur et aux lois du royaume.
B. Les Frères d’Agravain : Gauvain, Gareth et Gaheris
Agravain appartient à une famille célèbre, celle des fils de Lot et Morgause. Parmi ses frères, on trouve Gauvain, Gareth et Gaheris, chacun portant sa propre vision de la chevalerie et de la loyauté. Gauvain est l’un des chevaliers les plus nobles de la Table Ronde, reconnu pour sa loyauté sans faille envers Arthur. Son lien de parenté avec Morgause fait de lui le demi-frère de Mordred…
Gareth, bien que plus jeune, est apprécié pour sa gentillesse et son respect du code d’honneur. Gaheris, pour sa part, se montre plus réfléchi et tempéré. Agravain, quant à lui, se distingue par son caractère plus sombre et son ambition. Dans certains récits, il est souvent en conflit avec Gauvain, car ce dernier désapprouve son comportement rigide et manipulateur. En effet, Agravain a une vision très personnelle de la justice, qui le pousse parfois à prendre des décisions contestées par ses frères et ses pairs. Cette différence de tempérament entre les frères Lot crée une tension constante qui se répercute sur la Table Ronde et fragilise l’unité du royaume.
II. Les légendes associées à Agravain
Agravain, bien qu’il soit un personnage secondaire dans les premiers récits arthuriens, joue un rôle central dans plusieurs épisodes marquants de la Post-Vulgate et des récits tardifs tels que La Mort Artu ou Le Morte d’Arthur de Thomas Malory. Ces légendes mettent en lumière son caractère ambigu, oscillant entre la loyauté apparente envers le roi Arthur et une profonde jalousie ou animosité qui alimente ses actions.
A. Son rôle dans la dénonciation de Lancelot et Guenièvre
L’épisode le plus célèbre impliquant Agravain est sans doute sa dénonciation de la liaison adultère entre Lancelot et la reine Guenièvre. Dépeint comme jaloux de Lancelot et désireux de se mettre en avant, Agravain décide de révéler cette relation secrète à Arthur. Dans La Mort Artu, Agravain, accompagné de Mordred et de quelques chevaliers, espionne Lancelot pour confirmer ses soupçons. Il informe alors le roi de l’adultère, ce qui plonge Camelot dans le chaos.
Persuadé que Lancelot représente une menace pour le royaume, il incite Arthur à tendre un piège au couple. Le roi, influencé par Agravain, simule son départ pour la chasse, laissant Guenièvre seule dans sa chambre. Lancelot, croyant la situation favorable, rejoint la reine. Mais Agravain et quatorze chevaliers, postés en embuscade, encerclent la chambre. Cet épisode tourne rapidement au désastre pour Agravain : Lancelot, bien que pris au piège et désarmé, parvient à tuer Calogrenant, endosser son armure, et éliminer presque tous les chevaliers présents, y compris Agravain. Seul Mordred parvient à s’échapper pour alerter Arthur. Cette confrontation sanglante marque un point de non-retour dans les tensions internes à Camelot et amorce la chute inéluctable de la Table Ronde.
B. Sa complicité dans les intrigues avec Mordred
Dans d’autres récits, ce chevalier est souvent associé à son demi-frère Mordred, partageant avec lui un caractère vindicatif et manipulateur. Ensemble, ils participent au meurtre de Sir Lamorak, l’un des chevaliers les plus valeureux de la Table Ronde, un acte qui révèle leur penchant pour la perfidie et les coups bas. Lamorak, pris au dépourvu, est assassiné alors qu’il se préparait à partir pour la quête du Graal. Cet acte, motivé par la jalousie et la rancune, ternit encore davantage la réputation d’Agravain et l’associe à une trahison profonde des idéaux chevaleresques.
C. Les tensions au sein de la fratrie
La position d’Agravain dans sa famille est également marquée par des rivalités internes. Contrairement à ses frères Gauvain, Gareth et Gaheris, souvent dépeints comme des chevaliers honorables, Agravain se distingue par son orgueil et son incapacité à respecter les valeurs chevaleresques. Sa jalousie envers Gaheris, notamment, alimente une tension constante, et son alliance avec Mordred le place en opposition directe avec Gauvain, le plus vertueux des fils de Lot. Mordred, connu pour ses ambitions pour le trône, trouve en Agravain un allié temporaire, bien que leurs motivations diffèrent. Alors qu’Agravain agit pour l’honneur, Mordred exploite ses faiblesses pour parvenir à ses propres fins. Agravain, aveuglé par sa soif de justice, ne réalise pas qu’il est manipulé par Mordred, qui profite de cette alliance pour atteindre ses objectifs sombres. Leur relation, ambiguë et conflictuelle, symbolise la complexité des alliances au sein de la cour arthurienne.
D. Un catalyseur de la chute de Camelot
L’ensemble des actions d’Agravain, qu’il s’agisse de ses trahisons personnelles ou de ses complots avec Mordred, contribue directement à l’effondrement de l’ordre arthurien. Sa dénonciation de Lancelot et Guenièvre fracture la loyauté des chevaliers envers le roi, tandis que ses alliances avec Mordred et ses meurtres délibérés fragilisent davantage l’unité de la Table Ronde. Ces actes, bien qu’ils soient parfois motivés par une apparente quête de justice ou de loyauté envers Arthur, sont en réalité teintés d’un profond ressentiment et d’un désir d’autopromotion.
III. La fin d’Agravain
Les circonstances de sa mort varient selon les récits, mais elles sont toujours liéeq à sa confrontation avec Lancelot. Dans la version de Malory, Agravain meurt durant l’embuscade tendue à Lancelot, tué par ce dernier en tentant de défendre son accusation. Cette mort brutale marque son rôle comme un catalyseur dans l’effondrement de la Table Ronde, mais elle n’est pas perçue comme héroïque. Au contraire, sa mort est souvent reléguée à un acte de vengeance légitime de Lancelot, qui cherche à se défendre des attaques injustes d’Agravain et de ses complices.
Dans d’autres versions, il meurt en défendant l’exécution de Guenièvre contre Lancelot. Cette version le présente comme un chevalier fidèle aux lois du royaume, bien que son rôle dans la dénonciation de la reine reste ambigu. Mais son décès, contrairement à celui de ses frères Gareth et Gaheris, ne suscite ni la tristesse ni l’indignation. Gauvain lui-même, bien qu’il soit son frère, semble peu affecté par sa mort, ce qui reflète le peu de considération que lui accordent les autres chevaliers. Ainsi, sa fin est souvent interprétée comme une punition pour son orgueil et sa jalousie.
Dans la série télévisée Merlin (BBC, 2011), Agravain est réinterprété comme un oncle maternel d’Arthur et un allié de Morgane, jouant un rôle d’antagoniste actif contre Camelot. Son interprétation par Nathaniel Parker renforce son image de manipulateur rusé et opportuniste. Dans Lancelot, le premier chevalier (1995), Liam Cunningham incarne un Agravain fidèle à la vision classique du chevalier corrompu et ambitieux.
Le chevalier apparaît également dans des œuvres littéraires et académiques explorant les thèmes de la trahison et de la déloyauté. Par exemple, J.R.R. Tolkien s’est inspiré des récits de la Post-Vulgate et de La Mort Artu pour construire ses propres récits empreints de conflits moraux et politiques. Plus récemment, des œuvres de fiction, telles que les jeux vidéo ou les mangas inspirés des légendes arthuriennes, incluent des références à son rôle tragique et controversé.
Agravain demeure l’un des personnages les plus controversés de la Table Ronde, un exemple frappant de la manière dont la loyauté peut devenir une arme à double tranchant. Sa légende résonne encore aujourd’hui, rappelant les dilemmes moraux auxquels chaque chevalier peut être confronté.